Home > Non classifié(e) La Gabardine, un autre regard TROP BANALE LA GABARDINE ? On imagine tout connaître de la gabardine, on pense avoir fait le tour de ce tissu/vêtement mi classique, mi iconique, sa lecture trop évidente en lasse certains ! Mais la réalité est toute autre. La gabardine mérite une relecture. Alors équipez vous d’un soupçon de curiosité et suivez le textile-guide. Gabardine de coton À LA LOUPE Si vous avez un compte fils, c’est le moment de vous en servir. L’œil se perd dans un dédale de pris et de laissés. La construction dynamique de l’armure croisé rythme la surface de l’étoffe avec ses côtes parallèles, fines, nettes, saillantes, séparées les unes des autres par des sillons profonds. Ensemble, ces lignes obliquent de la gauche vers la droite. Le relief est fonction de la grosseur des fils ; sur l’envers, il est peu marqué. C’est un bon moyen pour reconnaître une gabardine. JANUS Au sens moderne du terme, la gabardine fait généralement référence au vêtement imperméable beige, pièce emblématique du vestiaire masculin britannique, plus rarement à l’étoffe. Je souhaite redorer le blason de la gabardine qu’elle soit de laine, de coton ou en fibres mélangées, mais toujours depuis sa création, tissée avec l’armure croisé. UNE ORIGINE FUSIONNELLE Etymologiquement, le mot gabardine est une construction complexe : de l’arabe qaba qui donne caban et de l’espagnol gabardina, longs manteaux de protection en laine commun au XIIe siècle. Les points communs ? L’armure et la laine. À LA CROISÉE DES CHEMINS Méconnue, l’armure croisé souvent confondue avec l’armure sergé fut, à toutes les époques, celle choisie pour le tissage de la gabardine, le terme armure complexe lui sied bien. UNE ARMURE AU SENS PROPRE Les côtes et ses sillons barrent énergiquement la surface de l’étoffe tels des soldats prêts à empêcher la moindre incursion d’eau et d’air. Ces côtes obliques et ces sillons profonds constituent la colonne vertébrale d’un vêtement et un atout majeur pour sa tenue. UN DÉSÉQUILIBRE BIEN ORDONNÉ Entre chaîne et trame, les différences sont bien marquées : les fils de chaîne plus nombreux que les fils de trame subissent une torsion plus importante afin d’accentuer la résistance de l’étoffe à l’usure. Dans les plus belles qualités, les plus longues fibres sont sélectionnées pour le filage afin d’obtenir des fils lisses et souples. Ceci explique la raison pour laquelle les pantalons en gabardine de laine n’entrainent aucune allergie, même sur les peaux délicates. UNE CONSTRUCTION “GENRÉE“ Une différence dans le tissage préside à la destinée des gabardines : l’inclinaison des côtes différencie leur utilisation : 63% pour la gabardine masculine et 45% pour la gabardine féminine par rapport aux lisières. Ceci se justifie pour une question de poids et de souplesse mieux adaptés à la morphologie de chacun. La polyvalence de la gabardine n’est donc plus à démontrer. RETOUR À LA CASE DÉPART Contrairement à ce qui circule “dans les milieux plus ou moins bien informés“ Thomas Burberry n’est pas l’inventeur de la gabardine qui existait déjà au Moyen Age ; il a seulement, et c’est déjà beaucoup, contribué à renforcer sa fonction imperméable. UN CONFORT TRES RELATIF Jadis, pour que les vêtements de protection soient réellement imperméables à l’eau et à l’air, peu de solution s’offraient aux tisserands. Soit la laine était feutrée, soit foulée, soit filée sans avoir été désuintée. En contre partie, le vêtement était lourd et, dans le dernier cas, le vêtement se raidissait par temps froid, son toucher était poisseux, et dégageait une odeur désagréable. UNE FORMULE TOUT COMPRIS Grâce au procédé fort ingénieux de Mr Burberry, la gabardine tissu devint la gabardine vêtement, le duo gagnant en imperméabilité et en légèreté. Depuis, les deux vivent en bonne intelligence suivant leur propre destinée. AU FIL DES SIÈCLES NÉCESSITE FAIT LOI La forme de la gabardina va s’adapter aux besoins des populations, aux diktats de la mode, aux injonctions de la politique. Court et large, c’est le tabard, porté par les soldats par dessus leur armure. Ample et longue avec manches, c’est le manteau. Au Maroc, au XIIe siècle, sous la dynastie des Almohades, les juifs avaient l’obligation de porter comme signe distinctif une gabardine, ample et long manteau de couleur bleue. Large et longue et sans manches, c’est la pèlerine, pièce maitresse de l’habillement des pèlerins mendiants, nombreux au XIXe siècle. Comme les plaids écossais, la pèlerine en gabardine de laine ou de coton avait de multiples usages : manteau, couverture, nappe, objets indispensables aux voyageurs sans bagage ou si peu. De 1901 à 1984 les agents cyclistes parisiens baptisés « hirondelles » étaient vêtus d’une courte pèlerine. Mi long, imperméable boutonné et ceinturé : fin XIXe siècle,un prototype de ce que sera le trench-coat Burberry est commercialisé, coupé dans une gabardine de laine rendue imperméable. LA GABARDINE ET L’EAU ? Le tissage serré et les côtes obliques sont les éléments clés qui empêchent les petites pluies ou les crachins anglo-normands de traverser l’étoffe, mais cette spécificité est éphémère et peu efficace en cas de pluies violentes et persistantes. Pour rentrer dans le cercle des tissus techniques, la gabardine devra subir une opération esthétique. IMPERMÉABLE OU DÉPERLANTE ? THAT IS THE QUESTION Le traitement déperlant, appliqué sur une gabardine, permet de renforcer la barrière contre l’eau et l’air tout en laissant un passage pour les vapeurs corporelles. Ce procédé, s’il n’est pas permanent, a le mérite d’offrir un confort que n’aurait pas un tissu totalement imperméable qui fait barrage à l’eau et de la transpiration, à l’entrée comme à la sortie. RESPIRER À TOUT PRIX La gabardine est un tissu déperlant « respirant », le terme gabardine imperméable n’est correct que s’il désigne un vêtement. À QUI LE TOUR ? Jusque dans les années 70, les « gabardines » étaient « ré-imperméabilisées » par les teinturiers après chaque nettoyage. Si, à l’arrivée des tissus en nylon, la gabardine perdit de sa superbe en tant que vêtement, l’utilisation de l’étoffe du même nom ne fut jamais remise en question. A leur tour, les imperméables en nylon furent largement et efficacement remplacés par les articles en microfibres. Et demain qui sera l’heureux élu ? LE BIOMIMETISME EN ACTION L’eau de pluie, au contact de la gabardine déperlante, se transforme en goutte ronde et dodue qui dévale la pente vertigineuse des côtes et des sillons jusqu’à chuter dans le vide sans stagner sur le tissu, évitant les risques d’imprégnation. En écrivant ces lignes, j’aperçois par la fenêtre la pluie qui tombe sur les feuilles de mes iris. Je remarque que les gouttes se mettent en boule et ruissellent gentiment au creux des feuilles lisses qui, sous le poids des perles transparentes, se courbent vers le sol pour les aider à terminer leur course sur le tapis vert de la pelouse. Nos chercheurs auraient-ils la fibre végétale ? GABARDINE DE LAINE OU DE COTON ? En laine, la gabardine de qualité est brillante, robuste et souple. Il faut oublier celle qui va se froisser rapidement sans avoir la force de reprendre sa forme initiale. La laine, pour vous donner satisfaction, doit être « tonique » c’est-à-dire qu’enfermée dans votre main, elle profite de l’ouverture pour sortir comme un pantin de sa boite, comme si elle était montée sur ressort ; c’est l’incidence de la frisure du poil de mouton. J’aime ces tissus percutants, vivants et solides à la fois. Le tissage doit être serré, faute de quoi des déformations aux genoux pour les pantalons, aux coudes pour les vestes, sont à craindre. En coton, la gabardine est solide, souple mais sans mollesse. Il suffit d’un coup d’œil pour s’assurer de sa qualité : régularité des côtes et des sillons, bonne tenue du tissu en le froissant entre vos mains. Compte tenu de ces utilisations, il ne me semble pas cohérent de rechercher une gabardine de coton ostensiblement lustrée. Si tel est le but, autant choisir une autre étoffe. Les plus belles gabardines sont les plus sobres. UN POUR TOUS, TOUS POUR UN ! La gabardine est particulièrement bien adaptée aux articles sportswear : jupes, pantalons, vestes : tout lui va. Mais attention ! C’est un tissu qui ne supporte pas la médiocrité, ni dans la matière, ni dans la coupe, ni dans les finitions. « Si nous voulons trotter à pieds à cheval ou gravir la montagne(…) ce n’est pas à vous couturiers que nous avons affaire, mais à des spécialistes que vous dédaignez, des techniciens de la gabardine imperméable, de la bande molletière, de la bottine à ski, de la culotte de Saumur » Colette in les quatre saisons. SUR LE RING Il n’y a pas une mais des gabardines, chacune présentant des atouts qu’il convient d’exploiter au mieux. Poids léger : le tissu à tendance à se froisser aisément et les vêtements doivent être doublés. Poids moyen : adapté pour les tailleurs, vestes et les coupes structurées. Poids lourd : convient aux coupes plutôt classiques, ce tissu étant quasi inusable, le vêtement devra survivre aux modes. Une relation de confiance se crée entre vous et votre vêtement puisque vous ferez ensemble un bout de chemin. LA GABARDINE NE FAIT PAS BONNE IMPRESSION En coton, laine ou polyester, les gabardines sont des tissus généralement unis, car l’impression sur une surface en relief est délicate. UN PASSAGE PERILLEUX Repasser un tissu en gabardine de coton ou de laine est un acte délicat. Le repassage a pour principe de faire glisser le fer sur le tissu dans un sens puis dans l’autre : passer et repasser. Le fer à repasser est lourd et chauffé afin d’écraser les coutures et les plis, ce qui est mieux adapté pour les articles en coton. Pour un lainage, la vapeur, principe du pressing, est plus indiquée. Mais toujours un fer tiède et de la souplesse dans le mouvement. Les pièces importantes apprécient vivement une visite chez un teinturier de temps à autre. Le pressing n’est pas le repassage, il rénove l’aspect d’un vêtement. LA GABARDINE S’AFFICHE CHEZ LAROUSSE On trouve cette définition du mot gabardine dans le Larousse universel éd.1949 « long manteau à manches, imperméabilisé ». LA LEGENDE Je ne vous ferai pas languir plus longtemps car, pour nombre d’amateurs, la gabardine se confond avec la gabardine Burberry® devenue une icône de la mode. Certes, une légende n’est qu’une légende mais quelle histoire ! ALEA JACTA EST Déceler le vrai du faux, c’est sortir de la légende. Alors allons-y franchement. C’est le parcours héroïque de Thomas Burberry, un anglais, sportif, créatif, ambitieux, audacieux et perclus de rhumatismes. UNE FORMATION « SUCCESFULL » Placé comme apprenti chez un drapier, il prit le temps de se familiariser avec les étoffes avant d’ouvrir un atelier boutique dans le New Hampshire. Sa spécialité ? La confection de vêtements d’extérieurs chauds, confortables et plus ou moins imperméables, adaptés aux efforts physiques et au climat chargé d’humidité ce qui est un doux euphémisme. Il habille des notables de la région, des sportifs et ses amis chasseurs. Le succès aidant sa boutique devient un “grand magasin“. LE MAC REMIS EN QUESTION Dans les années 1860-70 l’imperméable macintosh ou mac était ce qui se faisait de mieux. Taillé dans une toile de coton enduite d’une couche de caoutchouc, il était réellement imperméable à l’eau et à l’air. Cette qualité le rendait inconfortable pour de multiples raisons : la transpiration n’avait aucun moyen de s’échapper, l’enduction caoutchoutée augmentait le poids du vêtement, une mauvaise odeur se dégageait de l’ensemble et, cerise sur le gâteau, par forte chaleur, le caoutchouc avait tendance à fondre. Une prescription médicale intima à Monsieur Burberry l’ordre de se séparer de son mac qui lui faisait plus de mal que de bien alors que ses crises de rhumatismes récurrentes le contraignaient à se protéger de l’humidité ambiante. CHERCHER UN SUBSTITUT Les tissus techniques existants n’étaient pas à la hauteur de ses espérances, d’ailleurs il y en avait très peu. Ce marché était ouvert et attendait que quelqu’un s’y intéresse. DES ESSAIS N’ayant ni l’intention de quitter la campagne pour la ville, ni de laisser la pluie accentuer ses douleurs, il fit de nombreuses tentatives pour obtenir un tissu léger, chaud et imperméable. Ainsi débuta l’histoire de la gabardine Burberry. LA PUCE A L’OREILLE C’est en croisant un berger vêtu d’une grossière chemise en lin qui ne semblait nullement gêné par la pluie que l’idée germa dans l’esprit de Thomas Burberry. A priori, la chemise était devenue quasiment imperméable à force d’être en contact avec les moutons. Le suint, substance graisseuse présente dans la laine des moutons qui rend la toison imperméable, avait probablement imprégné le vêtement. LE GRAAL Partant de ce constat, il mit au point une étoffe légère, chaude, imperméable et respirante, en améliorant les qualités naturelles d’une gabardine de laine. Au lieu de déposer un apprêt sur la surface de l’étoffe comme le fit Macintosh, chaque fil était enduit d’une substance hydrophobe avant le tissage. 1888 : Le procédé de la gabardine imperméable Burberry est breveté. Plus tard, appliquée sur une gabardine de coton, cette technique apporta un confort supplémentaire, les vêtements étant plus légers. À Gauche : Gabardine brevetée en 1888 par la maison Burberry LES HEROS S’AFFICHENT EN BURBERRY Au début du XXe siècle, les équipements proposés aux sportifs de haut niveau, aux explorateurs, aux navigateurs, aux alpinistes n’étaient pas suffisamment fiables techniquement pour résister aux efforts physiques, et affronter des températures extrêmes dans des conditions de confort acceptables. La gabardine Burberry, permit à l’homme de réaliser des exploits en se rapprochant des pôles, en gravissant les plus hauts sommets, en survolant la terre en montgolfière. Le vêtement lui même relevait de l’exploit mais l’étoffe était d’une efficacité redoutable pour les tentes et sacs à dos. Burberry® circule depuis dans le monde entier, jusqu’à devenir un nom presque commun. Le roi Edouard VII demandait par habitude qu’on lui apporte “sa burberry“. L’apprenti drapier Thomas Burberry de Brockham devint Sir Thomas Burberry of London. Quant au trench-coat, c’est encore une autre histoire. UN AUTRE REGARD Plus qu’un tissu, plus qu’un vêtement, la gabardine est une histoire à elle toute seule. Catherine GOLDMAN Facebook Linkedin Instagram Pinterest Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture. 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