Home > Non classifié(e) LE BOUGRAN, UNE ETOFFE AU PASSÉ PAS SI SIMPLE La diversité des matières textiles se réduit saison après saison, certaines disparaissent partiellement des inventaires des fournitures pour tailleurs, d’autres s’éclipsent totalement dans les collection de prêt à porter et puis il y en a qui sont définitivement sorties du vocabulaire courant. Le bougran a emprunté la voie de l’évolution si ce n’est celle de la révolution. DES PRODUITS DE SUBSTITUTION OSÉS Certes des succédanés on pris la place du bougran, comme les toiles thermocollantes, la triplure, et parfois même du carton, une bien mince consolation pour le consommateur! UN LONG PARCOURS Comme de nombreuses étoffes, le bougran, depuis les échoppes des artisans ouzbeks jusqu’aux ateliers de Savile Road fut soumis à des changements physiques radicaux, passant d’une étoffe délicate à un tissu grossier, a des usages divers de la doublure en laine des manteaux ouzbeks à une forte toile de coton utilisée en reliure et ce long parcours à travers l’Asie Central et une partie de l’Europe lui valut aussi quelques frasques « vocabulistiques ». UN TISSU VOYAGEUR Au XIIe siècle, on retrouve cette toile de coton raidie dans de nombreux pays sous des dénominations diverses Boqueran devient bougran en Français, buckram en anglais, bucherame, en italien et bucaran en espagnol. Si le bougran est présent dans la le vocabulaire courant de ces pays c’est la preuve de sa notoriété. La valeur commerciale fluctua sans jamais sombrer ou presque, en fonction des matières premières.. L’APPRET FAIT LE BOUGRAN Belle toile de laine jadis, fine toile de coton, avant cette définition des plus lapidaires qui se trouve dans les pages des dictionnaires contemporains « une grossière toile de coton ou de chanvre raidie par un apprêt ». Bougran DU NOM AU VERBE Bougrener renvoie à l’action de renforcer tout type d’étoffe, en coton, en lin, en laine de manière à lui donner l’aspect du bougran. LE BOUGRAN AU FIL DE L’HISTOIRE : DU TOP AU FLOP Au XIe siècle, on trouve une étoffe appelée boucana ou bougran au Soudan. Au XIIIe siècle, le bougran est devenu un étoffe grossière de laine commune de qualité très médiocre. Son manque de souplesse est adapté à sa mission de doublure, de soutien, pour les étoffes trop souples et les courtepointes. Au XIVe siècle, le bougran devint un tissu de lin fabriqué à Chypre et en Arménie. A la même époque, c’est une sorte de mousseline de coton légère et précieuse car le coton est encore une fibre rare en Europe. Cette étoffe est alors utilisée par la noblesse. Il est d’ailleurs fait mention de boqueran blanc dans la description de la chambre de la reine Clémence de Hongrie. Au XIV e siècle Marco Polo dans ses écrits fait à plusieurs reprises allusion au Bougran « la capitale de l’Arménie Majeure s’appelle Arzinga, on y fait d’excellent buchiramus » « Le bougran est un tissu précieux au Malabar et même très fin à Machilipatam, aussi en grosse laine pour pauvres au Tibet. » Au XVe siècle, l’usage du bougran était vaste allant des vêtements, à la sellerie, aux étendards Au XVIe siècle Anne Boleyn possédait d’après les comptes de dépenses du roi Henri VIII un manteau et une robe de nuit en buckeram Ceci s’il en était besoin prouve que la renommée du bougran touchait toutes les couches de la société. Au XVIe siècle, en Grande Bretagne, le buckram est une étoffe laineuse souvent utilisée pour les vêtements cléricaux. Au XVIIe siècle un dictionnaire anglais mentionne le Bocassin comme étant un fin bougran semblable à un taffetas. Du XIXe au XXe siècle, le bougran est une toile de coton gommée et calandrée que le tailleur place à certains endroits du vêtement entre l’étoffe et la doublure pour donner du maintien. Au XXIe siècle c’est un souvenir. LES ETYMOLOGIE HYPOTHETIQUES SE BOUSCULENT Logiquement BOUGRAN serait l’ altération de Boukhara, ville d’Asie Centrale, point de départ d’un grand nombre de marchandises précieuses comme les épices ou la soie vers les marchés occidentaux. Cependant et j’en conviens, cette merveilleuse cité située sur la route de la soie est davantage connue pour ses tapis, et ses monuments aux coupoles turquoises qui se détachent sur le bleu du ciel, que pour le commerce de cette toile forte. Panorama de Boukhara Alors d’autres hypothèses sont fréquemment proposées comme, le Bougran viendrait de bouc, puisqu’à l’origine il fut dit on tissé avec des de poils de chèvre lorsqu’il s’agissait d’une étoffe fine et souple, peut être avec la toison de la chèvre du cachemire?. L’italien bucherare qui se traduit par transpercer, pourrait aussi bien s’appliquer au bougeant du XIe siècle qui était une toile grossière servant à doubler les vêtements tissée avec les poils de la toison de chèvres communes . Les poils raides de cette doublure transperçaient le tissu venant picoter les peaux fragiles! Une hypothèse plus fantaisiste que sérieuse circule, bougran viendrait de Bulgarie dont les habitants étaient des « bougres », bigre ! Tout cela n’est qu’hypothèse la réalité n’a aujourd’hui que peu d’importance dans la mesure où le bougran n’a plus qu’une existence historique. UN MONOPOLE BIEN EXPLOITE Les tisserands occidentaux ne se précipitent pas pour imiter ce tissu sans doute trop banal bien que très utile, laissant le monopole de la production et du commerce du bougran aux ouzbeks, chypriotes, indiens, arméniens, kurdes… UNE GAMME RESTREINTE DE TEINTES En Asie le bougran était souvent fantaisie, avec des motifs floraux et des couleurs vives même lorsqu’il servait de doublure, mais en occident, il est blanc, noir, gris et toujours uni. Parfois, pour les reliure, la gamme s’ élargie au vert pour la reliure. « QU’IMPORTE LE FLACON » C’EST TOUJOURS DU BOUGRAN! Un temps tissé à partir des poils de chèvre, du lin, du chanvre puis en coton, laine en fait tout matériau susceptible d’être tissé. CES MESSIEURS « COLLET MONTÉ » Les impératifs de la mode masculine obligent à certaines contraintes et, comme les femmes sont corsetés les hommes enfilent des vestes qui ressemblent davantage à des cuirasses qu’à des vêtements civils. La silhouette est modifiée, voire déformée. Le buste masculin se doit d’être non seulement bien garni mais également bien raide. Les cols et les revers immenses ne doivent pas se relever au moindre courant d’air ! Glissé entre le tissu et la doublures les tailleurs utilisent le bougran pour raidir “armer“ les étoffes trop souples. LA REVOLUTION DU BOUGRAN Au XIXe siècle de grands hommes de lettres étaient préoccupé par l’importance de la place de la mode dans le quotidien de leur concitoyens et de Hugo à Balzac unanimement ils critiquèrent l’usage excessif du bougran : Au XIXe siècle de grands hommes de lettres étaient préoccupé par l’importance de la place de la mode dans le quotidien de leur concitoyens et de Hugo à Balzac unanimement ils critiquèrent l’usage excessif du bougran : « ce tourment des habits à collets et à revers rembourrés drap au dehors, carton en dedans. » Détournant l’objet incriminé de la mode, il en fera une arme politique assimilant ce vêtement lourd et guindé à la politique puritaine, académique et triste de Charles X. » Balzac. Peu avant la révolution de 1830 Balzac en appelle à la révolte de la France contre le bougran. LE POIDS DE LA QUALITÉ Jusqu’au milieu du XXe siècle, le costume masculin était encore empesé, rigide et lourd, infligent des contraintes au squelette, comme le fut le corset pour les femmes. Le poids était une sorte de garantie de fabrication d’un vêtement, un tailleur avait à sa disposition un nombre de fournitures qui au final donnaient cette allure masculine un brin guindée : épaulettes, mignonnette, bougran entoilage, feutre, doublure, ceinture de pantalon..doublure de manches , épaulettes DE LA QUATÉGORIE POIDS LOURDS A LA CATÉGORIE POIDS PLUMES Les raisons de la disparition du bougran sont aussi nombreuses que ses différentes versions, Désormais la mode masculine se décline tout en souplesse et légèreté. Le prêt-à-porter a changé la donne. Les tissus pour répondre à la demande des consommateurs sont de plus en plus légers, de plus en plus souples, les supers 100 sont dépassés par les supers 180, 200 et les fournitures pour tailleurs ne sont plus que des souvenirs, mais c’est le jeu, un jeu de pouvoir et pour une fois c’est le consommateur qui est le vainqueur ! Catherine GOLDMAN Facebook Linkedin Instagram Pinterest Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture. Related Posts Non classifié(e) Le Galuchat, un cuir d’exception Non classifié(e) Paris Déco Off et Maison & Objet : nos coups de cœurs Non classifié(e) La Ramie, une fibre textile aux multiples facettes Non classifié(e) L’histoire de la Mousseline Non classifié(e) L’épopée de la popeline Non classifié(e) WILLIAM MORRIS : ENTRE L’ESTHÉTIQUE ET L’ETHIQUE Laisser un commentaireVotre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *Commentaire * Nom * E-mail * Site web Post commentΔ Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. 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