Home > Non classifié(e) IL ETAIT UNE SOIE… LA BOURRETTE OU LA VIE SECRETE D’UNE ETOFFE La bourrette de soie, en chaîne et trame ou en maille est une étoffe pleine de promesses qu’elle cache sous une apparente modestie. Ce post est l’occasion de découvrir une soie originale, moins sophistiquée qu’un satin duchesse mais qui, pour plaire, déploie des trésors d’ingéniosité. Loin des chemins convenus, rarement présente sur les podiums, ce petit bijou a pourtant un parcours semée d’étoiles. Au XXIe siècle, à l’heure du surcyclage, voici une matière noble qui intéresse une « industrie » en pleine expansion. D’UN POINT DE VUE CHIMIQUE La composition chimique (fibroïne et sericine) des fils de bourrette de soie est identique à celle de la soie grège ou soie naturelle, c’est donc bien une soie à part entière. D’UN POINT DE VUE PHYSIQUE C’est, par son apparence, dont la plus « visible », est l’absence de lustre, que la bourrette de soie se distingue de la soie naturelle. DU LATIN ORIGINEL Borre puis puis bourre du latin burra = étoffe grossière à longs poils. Plus contemporaine est cette définition : toute espèce de poil, laine, fibres, déchets de fibre en vrac. UNE RECONNAISSANCE TARDIVE Le mot bourrette apparaît dans la langue française vers 1420. BOURRE DE SOIE Les déchets provenant du dévidage des cocons des vers à soie sauvages ou éduqués dans des magnaneries, se présentent sous forme d’un agrégat hétérogène constitué de la partie externe du cocon, des premières couches qui l’entourent qui sont des matières faibles, la chenille étant exténuée arrivée à ce stade de conception de son abri. Ces brins courts, irréguliers et agglomérés, sont inutilisables en l’état pour la filature. Ce n’est qu’après le décreusage très partiel, le cardage et le peignage que l’on obtient une matière apte à être filée, selon les même techniques que pour les brins les plus courts du coton ou de la laine. Le cocon de soie RIEN NE SE PERD, TOUT SE TRANSFORME Le traitement des résidus collectés lors des différentes opérations depuis le cocon jusqu’au fil de grège est devenu une véritable industrie alimentée par les magnaneries, les usines de tissages, les ateliers de filature. Ce sont les italiens qui, les premiers, dès le XIe siècle, eurent l’idée d’exploiter cette manne négligée jusqu’alors. Etant donnée la valeur inestimable de cette fibre, la récupération des déchets était financièrement rentable. Les tisserands italiens, habitués au travail de la soie, surent tirer profit de ce potentiel en l’utilisant pour la fabrication de tissus. Le saviez-vous? En moyenne 100 kg de soie brute donne 70kg de soie pure et 30 kg de déchets. Avant l’industrialisation du traitement des déchets du moulinage de la soie, les cocons inaptes (tachés, doubles, percés) étaient jetés dans les champs pour servir d’engrais. Le toucher légèrement huileux des cocons à retenu l’intérêt d’industriels. L’huile extraite des résidus de cocons, riche en protéines, entre dans la composition de certains produits alimentaires pour animaux. LA GREGE ? C’est le fil de « soie naturelle » obtenu avec la bave du vers à soie du mûrier. Ce filament continu, de grande longueur, souple, lustré, lisse et régulier, se compose de deux brins soudés entre eux par le grès d’où le nom de grège. Plusieurs brins sont alors réunis par torsion. Le grès peut être ôté en totalité ou partiellement, c’est une opération destinée à « doser » le lustre et la souplesse du fil. La couleur du fil, à ce stade, hésite entre le gris et le beige. Ce n’est qu’une fois la gomme complètement dissoute que le fil devient blanc. Le saviez-vous : c’est le fil de soie grège qui permet de tisser ces merveilleuses étoffes que sont les taffetas, satins, failles et autres twills. Le fil de soie grège LE FILÉ DE FIBRES DE SOIE VUE DE L’EXTERIEUR Un filé de fibres est une construction plus complexe qu’un fil grège : il est constitué de brins discontinus très courts, de diamètre irrégulier qui sont maintenus entre eux par torsion Le saviez-vous? Le nombre de tours varie entre 100 et 1500 par mètre. Voilà pourquoi le degré de torsion à une incidence directe sur la solidité du fil, il est fonction de la destination du produit : tissage, fil à tricoté ou fil à broder. LE MÊME VUE DE L’INTERIEUR Le fil de bourrette de soie résiste bien à la traction, mais il se désagrège aisément. Faites l’expérience suivante : prenez un brin entre les doigts et étirez le en même temps. L’ensemble se désolidarise et reprend son identité initiale sous forme d’une infinité de brins « ouateux ». UN USAGE RESTREINT Compte tenu de ces caractéristiques, un filé de fibres n’est pas idéal pour la chaîne, soumise à une forte tension lors du tissage. Une exception est tolérée pour l’armure panama : deux fils en chaîne croisant deux fils en trame, le but étant de renforcer la solidité de l’étoffe. Le saviez-vous? La nourriture des chenilles (vers à soie) a des incidences sur le futur fil . Les chenilles vivant à l’état sauvage se nourrissent de feuilles de divers arbres qui contiennent plus de calcium que celles du mûrier blanc ou noir, l’alimentation des vers à soie du bombyx du mûrier. Les conséquences de ces régimes se répercutent dans la composition et la couleur des cocons. Les filés de fibres sont généralement utilisée soit pour les articles en maille ou en trame dans le tissage des bourrettes de soie ou de soies dites sauvages . Ce sont leurs particularités physiques qui donnent « du caractère » à ces étoffes. L’ORGANIGRAMME DES DECHETS DE LA SOIE Qualité n°1 La soie schappe est un sous-produit de la soie grège. Les déchets du dévidage des cocons du vers à soie du bombyx du mori, sont peu nombreux et les brins, bien que de longueurs inégales, sont suffisamment longs (entre 8 et 30 cm), pour être exploités en filature avec un minimum de manipulations. Les irrégularités sont limitées, le lustre encore perceptible et les nœuds espacés. C’est la version chic des filés de fibres de soie utilisée pour le velours de soie, le fil à broder, la dentelle, le jersey, les toiles … Qualité n°2 La bourrette de soie est le sous-produit d’un sous-produit. Les déchets issus du cardage et du peignage de la schappe de soie sont des brins courts, fins, faibles et emmêlés. La transformation en fil de cette masse inextricable de brins de soie nécessite des opérations spécifiques dont le peignage ne fut pas la moindre. Le saviez-vous? Le peignage de la bourre de soie, une opération fastidieuse, était dévolue aux prisonniers des maisons d’arrêts situées dans les régions séricicoles et continua jusqu’au milieu du XIXe siècle. Qualité n°3 Les déchets du peignage de la bourrette donnent la ouate de soie utilisée par l’industrie comme matériau d’isolation. Le saviez-vous ? En Chine cette bourre servit, des siècles durant, à rembourrer les vêtements. Qualité n°4 Le mélange de bourre de soie et de fibres courtes de coton donne le fleuret. Le saviez-vous ? Une entreprise zurichoise s’est spécialisée dans la fabrication de fil fleuret dès le 16 e siècle, utilisant les cocons inutilisables des filatures lombardes. Mais cette embellie s’est éteinte petit à petit pour se terminer à la fin du XIXe siècle. MIROIR MON BEAU MIROIR ! Pour reconnaître la bourrette la vue, le toucher, l’odorat et un brin de curiosité suffisent. Juste un regard La surface d’une toile de bourrette de soie, bien que mate, granuleuse, barbue est jonchée d’étincelles. Le lustre est absent parce que : – les brins ne sont pas totalement débarrassés de leur « gomme » qui rend leur surface grasse. Le saviez-vous ? Certains fabricants recommandent le nettoyage à sec, parce qu’une tache d’eau sur la surface d’une bourrette ressemble à une tache de graisse. Mais ceci est sans conséquence sur la vie future du vêtement : la tache disparaîtra si vous plongez la totalité du vêtement dans l’eau ; en séchant tout rentre dans l’ordre. Cette particularité tient à la présence du décreusage partiel des brins. – la forte torsion nécessaire à leur cohésion absorbe en bonne partie l’éclat qui pourrait subsister : un crêpe de Chine est moins brillant qu’un taffetas, – l’aspect pelucheux du filé de fibres empêche la lumière de se refléter comme elle le ferait sur la surface lisse du grège. La main : Les bourrettes de soie ont un toucher excentrique, à la fois rêche et doux, sec et savonneux. Les fils « poilus » rendent la surface du tissu pelucheuse mais, en contrepartie, une certaine idée de douceur est au rendez-vous, qui diffère de celle d’une soie naturelle. Je dirais que le toucher d’une bourrette est « soft ». La surface d’une toile est animée par les aspérités qui se détectent sous les doigts ; c’est aussi une façon de se démarquer de la sophistication pour accentuer « ce côté rustique de bon aloi ». Exercice : La meilleure façon de vous en rendre compte est de manipuler une coupe de bourrette ou un vêtement. Pour certaines personnes, le toucher d’une bourrette de soie provoque la même répulsion que le toucher d’un velours ou que celle, épidermique, du grincement de la craie sur un tableau noir. Une bourrette de soie possède une main particulière ; c’est un tissu souple voire mou ; tout le contraire d’un tissu nerveux. Mettez-le en boule, il ne se mettra pas en colère ! Il n’est pas élastique mais indolent. La qualité d’abord : le filé de fibre peut parfois manquer de vigueur et surtout d’élasticité aussi, une belle bourrette se juge avec la main. Préférez une bourrette qui existe à une sans prestance ni présence. La flamme et le feu Malgré tout ce qui précède il est encore possible de se fourvoyer car la bourrette ressemble à s’y méprendre à un coton, non pas un coton Suisse, lisse et brillant, mais un coton indien, rustique, irrégulier, épais et mat. Exercice : Si un doute subsiste, ayez recourt au test de l’allumette. La flamme ne dure que quelques instants, mais l’odeur de la corne brûlée qui se dégage et les résidus noirs et friables ne laissent alors plus aucun doute sur la nature de la fibre. S’il s’agit de filoselle, vous aurez également un fil de coton qui brûlera comme du papier en laissant des cendres grises. La bourrette n’est pas muette elle sait donner de la voix Peut-être pas aussi violent que le cri de la soie « naturelle », la parole de la bourrette est glacée ! Je m’explique : j’ai toujours d’étranges sensations au contact de cette étoffe qui comme si, ayant été lavée à l’eau et au savon, elle aurait été rincée sommairement. Par conséquent, elle « grince » lorsqu’on la manipule. Exercice : Froissez l’étoffe près de l’oreille et vous entendrez peut être comme moi le bruit de pas dans la neige fraiche, pesants, profonds, crissants, glaçants ! Une expérience simple à vous donner des frissons. LA SUBTILITE DES TEINTURES La bourrette de soie a une excellente affinité avec les colorants. Elle se déteint et se reteint avec beaucoup de facilité, ce qui en fait un tissu de cœur des costumières. La surface « sablée » de ces tissus rend l’impression difficile. La matière colorante s’accroche aux aspérités de l’étoffe et les dessins manquent de lisibilité. A l’usage, une bourrette imprimée semble avoir été usée prématurément ; le tissu bouloche comme une laine cardée, et les dessins ont tendance à s’estomper. Sachez que, si vous optez pour une bourrette naturelle non blanchie, des taches noires peuvent apparaître. Il s’agit de résidus de la chrysalide du ver à soie ou des brins tachés qui ressurgissent. LES PETITS PLUS QUI FONT LA JOIE DES CONNAISSEURS Son aspect mat et sa souplesse autorisent un usage moins restrictif que les soies naturelles, c’est pourquoi on trouve des articles vestimentaires et décoratifs moins formels, adaptés au confort. La rondeur des plis, le tomber séduisant, la sobriété de son apparence et la tenue du vêtement demeurent impeccables parce que une bourrette de soie se froisse peu, les fils sont souples et ne se cassent pas. Ils acceptent les acrobaties, sont autant de strokes positifs. L’aspect sportswear des articles en maille est un atout supplémentaire à utiliser sans modération. Quelle que soit la saison, sa texture est infiniment agréable au contact de la peau et n’oubliez pas : une soie sans lustre ostentatoire reste une soie. Les articles vestimentaires en bourrette de soie sont souvent en maille, alors que les articles tissés sont plus souvent destinés à la décoration d’intérieur. En ameublement, la bourrette de soie est devenue un article accessible et fonctionnel en coussins ou plaids, en rideaux ou en dessus de lit. Elle allie solidité, souplesse et confort. Bourette de soie en maille Il me reste à vous souhaiter un bon shopping, dans les pages d’étoffe.com, bien sûr. Catherine GOLDMAN Facebook Linkedin Instagram Pinterest Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture. Related Posts Non classifié(e) Sha, Chirimen, Goumba… Qui suis-je ? Le Crêpe ! Non classifié(e) Le Feutre, un ami pour l’hiver Non classifié(e) Etoffe.com sur le showcase de Prestashop ! 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