LES MULTIPLES OPTIONS DU BAZIN

MELANGE DES GENRES

Une étoffe qui, à la suite de ses nombreuses configurations, a perdu une part de son identité. Une histoire ancienne : la première manufacture de bazin en France est établie en 1580 à Lyon. En 1733, un bazin à double armure et effets de rayures est tissé à Marseille, en 1806 le bazin  « parisien »  est accueilli avec succès.

Parallèlement, diverses étoffes viennent enrichir l’offre textile. Elles se nomment  rouenneries, siamoises et autre bombazine.  Aujourd’hui, le bazin se confond avec les damassés ou fait référence à une étoffe africaine.

PORTRAIT CHINOIS  

Les hypothèses fourmillent autour de l’étymologie de ce tissu ; en voici quelques unes :

De l’italien “bombaggino“, tissu fabriqué dans la région de Côme influencé par les soies damassées de Damas.

Du latin“ bambax » emprunté au grec « pambax », coton (pambuk= coton en turc). Mais pambax, par altération, donne « bambax », terme trop proche de « bombux » ou bombyx= ver à soie sans doute à l’origine d’une fausse identification.

De bombasine, tissu soie et laine, armure sergé, noir, qui était destiné aux vêtements de deuil au courant du XIXe siècle en Angleterre. 

La bombazette, toile de laine importée d’Angleterre.

De bombasin, toujours de l’italien bombaggine (bombyx). Une altération de la première syllabe « bom » qui devient bon d’où “le bon basin“ en soie et coton.

De “bombax », arbre dont les fibres molles, semblables au coton, furent un temps transformées en fibres textiles.

Peut être d’après un tisserand lyonnais nommé Bazin qui au XVIe siècle aurait crée cette étoffe…

SIMPLIFICATIONS

Les mots se faisant et se défaisant, bombazine devint bombaizin, bon bazin puis simplement bazin. La fabrication du bazin évolua elle aussi et ce tissu rayé et coloré devint monochrome, son lustre se jouant des jeux d’armures à la manière des damas.

Une chose demeure : la  valse hésitation dans les dictionnaires entre le S et le Z entre bazin et basin !

DES RAYURES TEINTÉES D’EXOTISME

Il était une fois l’incomparable éclat des couleurs qui embrasait les costumes des trois Ambassadeurs du Siam et de leur suite, venus rencontrer Louis XIV qui les reçut en “grandes pompes“ à Versailles en 1686.  Le cortège débarqua dans à Brest, vêtu de leur costume traditionnel et de leur curieuse coiffe pointue. Les rayures multicolores rehaussées par l’éclat de la soie eurent un effet hypnotique une clientèle avide de nouveautés. 

CONSÉQUENCES INATTENDUES DES VISITEURS DU SIAM 

Si les suites politiques de cette visite ne furent pas à la hauteur des espérances de Louis XIV, ces nouvelles étoffes contribuèrent au développement des manufactures textiles dans le royaume.

Dans un numéro de 1686 du “Mercure Galant“ on trouve la liste détaillée des nombreux cadeaux offerts par le roi de Siam à Louis XIV. De somptueuses étoffes figuraient en bonne place. De cette ambassade naquit un nouveau tissu français baptisé siamoise. La mode était lancée, relayée par la presse et les gravures de mode qui circulaient dans tous le pays.

Le saviez vous ? En 1687, le mercure galant annonça dans sa rubrique “mode d’été“ la naissance d’un nouveau tissu à rayures multicolore baptisée Siamoise qui connu un vif succès auprès des marchands.

LA SIAMOISE « DE LA COUR A LA RUE »

Les premières siamoises furent tissées avec un fil de soie écru en chaîne et un fil de coton teint en trame, mais le coût de la matière première étant très élevé, les tisserands utilisèrent le lin pour la chaîne et le coton pour la trame. Ce changement rendit la siamoise plus accessible, plus populaire. On retrouve cette étoffe dans de nombreux costumes régionaux.

Le saviez vous ? C’est une siamoise “ordinaire“, rayée en rouge et en bleu qui servit à faire des pantalons pour les hommes du bataillon des fédérés de Marseille, vêtement repris par les « sans culottes » en 1789.

A CHACUN SA SIAMOISE

A Rouen, les siamoises devinrent des rouenneries

Les tisserands rouannais se spécialisèrent  dans la fabrication de cotonnades rayées, imprimées à prix modique baptisées “rouenneries“. Ce mot devint un nom générique qui s’applique aux cotonnades de qualité ordinaire tissées et imprimées à la manière de Rouen.

Le saviez-vous ? Le rouge andrinople des véritables siamoises ne put être obtenu par les artisans normands, la couleur virant au brun assez vite sur les rouenneries. La solution la plus simple était d’acheter cette matière colorante fort cher, mais c’est à prix d’or, que  les fabricants obtinrent la recette de la fabrication du rouge turc.

 A Marseille, les rouenneries devinrent rouenneries de Marseille

Les tisserands se spécialisèrent dans la fabrication d’étoffes de coton teint en fil à la manière des cotonnades de Rouen.

A Tours, les rouenneries devinrent le bombazin

 La demande pour ces cotonnades de Rouen se faisant de plus en plus importante, de nombreuses manufactures furent créées. A Tours, les fabricants proposèrent une étoffe populaire dont le fil de chaîne était en lin et le fil de trame en coton et, pour se différencier des produits de Rouen ou de Marseille, on le baptisa Bombasin qui désignait, quelques siècles plus tôt, une cotonnade venue d’Orient vendue en Italie : la « bambagine ».

Troyes prit part à l’aventure des cotonnades rayées  

Troyes, ville textile s’il en est, se forgea une renommée dans la fabrication de bazin rayé au XVIIIe siècle, caractérisé par une chaîne en fil de chanvre et une trame en coton et un tissage en 50 ou 60 cm de large.

Paris ne fut pas en reste avec un duo de choc : Richard et Lenoir 

Au tournant du XIXe siècle, se développa à Paris d’abord, puis en province, l’industrie cotonnière avec, en point d’orgue, le commerce du bazin. Grâce à deux entrepreneurs, Richard et Lenoir Duchesne, au demeurant pas si entrepreneurs que cela puisque l’histoire se termina par une faillite mémorable de Richard Lenoir. 

POUR LA PETITE ET GRANDE HISTOIRE

De petits boulots en petits boulots

Dans les années 1890, le sieur Richard débute dans le commerce à la sauvette de vente de coupons d’étoffes, mais il amassa un petit magot dans la version suivante de ses activités avec l’achat et la revente de toile et de mouchoirs. 

Un sens aigu du commerce

C’est avec des innovations commerciales comme la vente à prix fixe et le remboursement possible, mises en œuvre dans le magasin de drap rue Montorgueil, qu’il accéda au succès. 

L’anglomania

Sous le Directoire les deux associés se lancèrent dans la contrebande de bazin anglais, marchandises alors prohibées mais très en vogue puisque l’anglo mania était à son comble dans l’univers de la mode. Il était de bon ton pour les “incroyables“ de porter des gilets en bazin anglais !

La recette, point de départ de l’aventure.

Un point demeure obscur, le secret de fabrication du bazin anglais n’a pas encore traversé le Channel et pourtant, à la faveur d’une rencontre fortuite, Richard et Lenoir se procurèrent la formule de ce tissu lin et coton alors considéré comme un luxe. 

De l’espace, de l’espace !

Fort de cette recette, les deux hommes se mirent en quête de coton et d’un local. Apres quelques essais dans des locaux exigus, c’est dans  un ancien couvent au centre de Paris que les premiers bazins parisiens furent tissés.

Une aide technique venue d’outre Manche

Grâce aux métiers à filer (anglais), la mule Jenny démontée arriva frauduleusement en pièces détachées en  France via la Belgique et remontée à Paris sous le nom de “mule jeanette“. Grâce à cette machine et à l’énorme quantité de balles de coton acquise en quelques semaines, la production de bazin gaufré façon anglaise débuta à Paris avec l’aide d’ouvriers et de mécaniciens venus d’outre Manche. 

La réussite

Les clients, ravis, pensaient acheter des bazins anglais ignorant la supercherie puisque tous les articles qui sortaient des ateliers de Richard et Lenoir portaient une marque anglaise, ce qui permettait d’augmenter les prix. Tout était maitrisé : production et commercialisation. 

Les impondérables

Les aléas de la politique économique mirent fin à cette ascension en Avril 1814.

Reste dans la mémoire collective l’histoire de Richard et Lenoir qui furent à l’origine du développement de l’industrie cotonnière en France. 

Le saviez-vous ? Avant de mourir, Lenoir demanda à Richard que leurs deux noms soient toujours liés. C’est ainsi que  Richard devint Richard-Lenoir.

D’ICI ET D’AILLEURS

A l’origine, le bazin était une étoffe à armure sergé (croisé) chaîne était en lin et trame en coton pour les plus belles qualités. Pour les qualités courantes, le coton entrait seul en trame et en chaîne. Les bazins de Bruges et de Hollande étaient admirables de finesse. les bazins de Pondichery étaient  eux exceptionnels. D’abord caractérisés par de larges rayures, ils furent enrichis de motifs floraux ou animaliers très stylisés et l’armure satin, remplaça petit à petit l’armure croisé. 

JEU D’OMBRE ET DE LUMIERE

Le bazin fait partie de la famille des damassés, dont les motifs les plus classiques sont des bandes longitudinales ou un vocabulaire décoratif floral obtenu par juxtaposition d’armure satin effet de chaîne et d’armure satin effet de trame. Le but étant de créer des zones brillantes et de zones mates, inversées sur l’envers. 

POUR LA BONNE CAUSE

Les qualités de bazin se diversifièrent afin d’élargir  l’offre commerciale.

Le basin pauvre en coton chaîne et trame, monochrome. 

Le basin, riche en fil et coton, plus épais, avec des effets damassés plus prononcés du fait de l’inégalité voulue de la ténuité des fils.  

Le super basin est un basin riche pour le fond avec des motifs colorés en surimpression. 

US ET COSTUMES

Une étoffe aux accents africains

Ce tissu fabriqué en Europe a encore, de nos jours, une connotation africaine et, puisqu’il est généralement vendu dans des boutiques qui proposent aussi des Wax, Java et autres batik, l’amalgame s’est fait de lui-même. Son succès commercial, surtout en Afrique de l’Ouest, est incontesté. Cependant, l’aspect du Bazin africain se caractérise par une raideur accrue, une brillance plus q’un lustre et un  teinture artisanale. Il est adapté à la mode locale, articles amples et longs comme le boubou, donc fabriqué en grande largeur. C’est un damassé de coton blanc qui est importé en Afrique d’ Allemagne, des Pays-Bas et, depuis peu de Chine qui propose au marché africain un bazin synthétique, moins cher et d’entretien simplifié.

Le blanc gagnant

Au XIXe siècle, le bazin blanc était privilégié. En Europe, il était utilisé pour des gilets, des pantalons, des robes, des manteaux. Dans les colonies européennes au climat tropical, le bazin  blanc était un élément basique dans la garde robe des colons.

Au bain!

Au XVII et XVIIIe siècle, le bazin est un tissu  d’habillement et d’ameublement. 

Le saviez-vous ? Il servait d’équipage de bain : fonds, garnitures, tour de baignoires. L’équipage de bain de Louis XIV était en basin blanc rayé, garni de dentelle d’Angleterre. Un bien joli habillage pour le roi qui dit on ne fit pas grand cas de sa salle de bain ! 

A table !

Pourquoi ne pas utiliser des métrages de basin pour des nappes, simplement pour changer des damassés très classiques et moins adaptés à la vaisselle contemporaine ?

Ecrire, c’est un peu tisser : les lettres, en un certain ordre assemblées, forment des mots qui mis bout à bout, deviennent des textes. Les brins de fibres textiles maintenus ensemble par torsion forment des fils qui, en un certain ordre entrelacés, deviennent des tissus…Textile et texte, un tête à tête où toute ressemblance n’est pas fortuite. Il est des civilisations qui transmettent leur culture par l’écriture, d’autres par la parole, d’autres encore, par la parole écrite avec un fil. Entre le tissu et moi, c’est une histoire de famille. Quatre générations et quatre manières différentes de tisser des liens intergénérationnels entre les étoffes et les « textilophiles ». Après ma formation à l’Ecole du Louvre et un passage dans les musées nationaux, j’ai découvert les coulisses des étoffes. Avec délice, je me suis glissée dans des flots de taffetas, avec patience j’ai gravi des montagnes de mousseline, avec curiosité j’ai enjambé des rivières de tweed, pendant plus de 35 ans, au sein de la société De gilles Tissus et toujours avec la même émotion. J’eus l’occasion d’admirer le savoir-faire des costumiers qui habillent, déguisent, costument, travestissent les comédiens, acteurs, danseurs, clowns, chanteurs, pour le plus grand plaisir des spectateurs. J’ai aimé travailler avec les décorateurs d’intérieurs toujours à la recherche du Graal pour leurs clients. Du lange au linceul, le tissu nous accompagne, il partage nos jours et nos nuits. Et pourtant, il reste un inconnu ! Parler chiffon peut parfois sembler futile, mais au-delà des mots, tissu, textile, étoffe, dentelle, feutre, tapisserie ou encore broderie, il est un univers qui gagne à être connu. Ainsi, au fil des ans les étoffes sont devenues des amies que j’ai plaisir à vous présenter chaque mois sur ce blog de manière pédagogique et ludique. Je vous souhaite une belle lecture.

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